Textes : extraits
Bleu-x. 1
Ecriture
Quelques lignes extraites de mon projet de livre.
Le cosmos bat à quatre temps.
Regarde juste l’instant où tout bascule entre le quatrième et le premier.
Regarde le seuil dans la grotte outremer.
Je suis au creux du cosmos.
Centre où plein et vide n’existent pas.
Je nais sans sortir, les yeux ouverts, le nez qui pointe, l’oreille de la peur.
Perfection de ce bleu outremer : pourquoi le quitter ?
Pas de raisons, juste pour être humain.
Pour jouer peut-être ?
Allez, viens, il y a beaucoup de bleus de l’autre côté.
Des chutes où on apprend ce qu’est le désir de voler.
Des «chuts» impératifs.
Des mots à apprendre, et celui-là surtout, avec une fin si étrange : «avec». Qu’est-ce que c’est ce «c» qui n’est pas celui de caresse ?
Il y avait ce minuscule point lumineux dans le rideau bleu de la classe.
Le soleil pointait toute sa force dans ce millième de liberté. Je le regarde alors, comme les gnostiques scrutaient la voûte étoilée. Dans l’obscurité, des percées vers la Lumière sans bornes.
Quitter le bleu ? Certains n’y arriveront jamais. Ils jouent avec, toute leur existence. Ils leur donnent leur nom propre, ou le notent sur cinq degrés. Tous les moyens sont bons pour faire mine de le quitter, sans jamais le faire. Ils jouent à l’humain sur le seuil. Ils ne veulent que du bleu, mais pour faire plaisir à ceux qui les attendent, ils créent des bleus avec un «x».
Comme «yeux», les bleux sont ceux qui nous portent.
Les bleux cherchent le centre. Comme «deux» et «dieux», ils nous promettent l’union, le cosmos.
Centre qui se trouve dans la croisée des chromosomes, dans le creux de deux lignes entrelacées. Les bleux appellent le corps malgré eux : cet x pour dire l’autre ou l’inconnu*e.
Quelques millièmes après le seuil, se vêtir pour sortir. Le début de la peau. Respirer et ne plus être bleu.
Bleu-x . 3
On ne fait pas du feu, on le créé. Il faut être initiée aux degrés : de la brindille à la bille fendue, il faut échafauder les tailles. Apprendre à disposer l’air, tourner autour pour lui faire un nid. Pas de mots, juste regarder le geste assuré et le regard de Prométhée : il brille, jubile avant l’étincelle. Créatrice comme lui, je serai à chaque fois : chemin et cheminée, humus et main. Le bois c’est mon père.
Dans la nuit noire d’un été ariégeois, je brasse les braises pour éteindre le feu de la veillée. Je suis le commencement du cosmos. Dans la cendre, les étoiles et la matière noire, leur nourrice. Je suis la gravité. Rouge. L’humaine aime, saigne, jouit, enfante. Sur terre pour tourner l’air, du jaune au bleu jusqu’au rouge. Sur terre pour que le bois prenne feu : retrouver à chaque fois la fonte des lingots, les cœurs palpitants qui cuisent la pâte, et s’emparer de la cendre de feu mon père pour le cycle de la forêt. Un jour, efflorescences dans l’humus, et tout recommence.
Se consumer, pour un temps. Mais tout coule, fleurit, cristallise, poudroie. Il y a la tresse de l’enfance, le tissu de la femme qui attend, la chaîne de l’existence, la trame derrière la porte basse, la natte des rêves, les textes déchiffrés et les plumes entrecroisées. Circuler dans ces mailles, faire passer les sirènes.
Il n’y a pas eu les mots pour dire pourquoi le danger, pourquoi l’urgence. Tresser pour ordonner les brins, et aimer l’entrecroisement, parce que c’est la promesse de passer au travers. Au creux du vide, dans le nid de l’onde, au cœur de l’autre de la vie.
Dans la tresse, il y a une amande, lisse, douce, fraîche. Sa peau a de fines nervures, c’est le dessin premier de la croissance. Des fuseaux tournoient. Nous sommes pris. Les écailles de sirène s’échappent, les liens se secrètent, les arches sont lancées. Le croisement trace des courbes à deux inconnu*e*s. Les jambes nagent, les bras fleurissent, les doigts cardent. Les édredons rencontrent les mosaïques. Tout commence pour résoudre l’équation dans laquelle origine égale fin.
À l'or
Aimer et apprendre nous lie et libère. Ici, l’intensité fait signe : on atteint le réel, qui est le plan de la réalité : c’est le tracé de son origine, de ses fondements, là où sont déposées les lignes de vie, la fondation où se pose l’échelle. Pour chercher, tu débroussailles, dépoussières, creuses, laves, décapes. Ton initiation à cette quête du réel t’a appris par amour que c’est le sol qui domine.
Tandis que la réalité use chaque jour un peu plus la vigilance, le réel se reconnaît comme la foudre qui éveille : il fait révélation. Étrange expérience de ce réel qui surgit : il semble aller de soi autant qu’il subtilise. Le plus spontanément intime et la perte de tout repère correspondent. Et alors... les plis de la terre s’ouvrent à l’instant, on voit jusqu’au fond des eaux, les cristaux vibrent. L’éclat absolu de ce réel nous porte. C’est un envol par la porte basse. Secret de la véritable impulsion qui est volcanique.
Au creux de la rencontre, il y a l’ouverture et l’aventure. À l’écoute d’une nouvelle existence, l’autre prend corps et âme. C’est le mystère de la créature*création qui fait pétiller le regard, tendre l’oreille. Cet·te inconnu·e nous porte, et un seuil, resté jusque-là invisible, apparaît dans notre dos, déjà dépassé. L’existence de l’autre pose ce seuil, franchi à l’instant de l’ouverture. Il est le révélateur de ma consistance qui restait cachée et m’était inaccessible.
Avec l’autre, avec sa création : c’est l’instant où je rencontre ce qui embrasse et dépasse. Le singulier et la gangue originelle de toute existence humaine entrent en fusion. Cette union fulgurante incarne la promesse d’atteindre le réel : le soi-même et le Soi de l’humanité concentrés en un point.
Palais de mémoire (2)
Chaque jour est une naissance.
Entre chaque parole, dans la levée qui précède la mesure, par les mines et les teintes, aimer ce qui surgit pour que tout vive. Aimer n’est pas retenir. Aimer c’est ouvrir.
J’ai mon palais pour sentir au présent. Tout ce qui m’appelle le traverse et y laisse sa saveur. Un signe de maître et c’est une nouvelle alcôve. Ce ne sont que des signes, je crée leurs densités, leurs résonances, les liens et les correspondances qui donnent un sens. Je suis maître d’œuvre. Puissance de tracer le plan, d’en ordonner la disposition, d’en tirer l’élévation.
Construction sauvage, mon palais n’a d’autre terre que les bornes de mon existence. C’est un palais nomade, chevauchant mes âges de pierre, de fer, de feu. Il ne trouve sa fondation qu’à l’âge d’or, où son plan se superpose au tien. Il parvient à l’âge de la refonte des projets qui s’inspirent et aspirent d’autres horizons. Il n’y a de mémoire que pour ce nouveau jour, où toutes les fenêtres de nos palais deviennent trop étroites.
Dans cette vision, nos bureaux rangés nous étouffent. Nous désirons des passages secrets. Nous désertons nos dépendances, nous transformons nos communs en salons d’honneur, nous faisons sauter les refends. Toute dénaturation nous est permise, parce que nous nous accordons le luxe de la mutation. J’aime ce séisme. Je ne veux plus rien trouver au bon endroit. Tout devient liquide, aérien, explosif, serein, brûlant, rafraîchissant, léger, profond : les programmes confondent les cycles. De jour et de nuit, notre palais s’étend et les mots affluent pour ensemencer de nouvelles terres. Nous formulons un mémoire inédit. En guise de plan, des cardiogrammes, et pour reliure, les âmes de nos cordes.
Palais de mémoire (4)
À voix basse, nous cherchons les ondes occultées d’un passé encore vif.
Qui sont les vivants qui nous ont donné une place ? Quels sont les noms qui nous ont donné une clé ? C’est le désir de perpétuer le récit qui nous pousse à les appeler.
Nous cherchons les grandes lignes en soufflant sur les cendres. Il y a des linteaux ensevelis, des tessons à assembler, des fibres textuelles entremêlées de racines. Dans les éboulis de pierres taillées, nous scrutons la terre battue pour y déchiffrer des empreintes : celles que nos parents auront laissé de leurs étreintes, celles que nos soeurs et frères auront pris le soin de nous dédicacer. Leurs mains tendues vers nos existences inconnues préfigurent notre réalisation.
Le passé nous désigne-t-il en révélateurs ? Dans nos yeux qui se croisent au bord des routes, s’écoule la douceur de partager la réponse à cet appel. Tous les méandres que nous avons suivi en papillons aveuglés et en écureuils prévoyants ont fragmenté notre conscience d’être nommés. Un virage a renversé les établis. Maintenant, nous marchons sur des éclats, des brins de parenté, des copeaux de certitudes. Notre souffle allège la densité de cette terre nouvelle. Nos larmes ont préparé la pousse. Nos rires sillonnent les platitudes. Des treilles offrent des roses à nos désirs.
Dans nos labyrinthes, des portes s’ouvrent, laissent filer, couler, fuser. Par l’échange de nos souffles, des généalogies se croisent. Ignorants la peur des monstres, nous redonnons la parole à des histoires restées muettes. Elles transparaissent à la surface de nos peaux sèches, dans nos veines apaisées. Maintenant, nous en voyons les indices dans les plis de nos sourires, dans la fente de nos cœurs en demande, dans les cordes de nos reins.
Chaque tension devient figure de rappel : répondre à ce qui manque, amplifier les voix occultées, leur donner notre vie, se laisser prendre en leur main. Elles détiennent le secret de la vie, mais elles n’ont que nous. Nous sommes leur fil à plomb : c’est par notre verticalité qu’elles s’animent et prennent place dans l’humanité. C’est leur gravité que nous désirons élever, pour qu’elle abrite les chercheurs sans remèdes.
Nous donnerons corps à un palais sensible pour la gravité des voix basses, des bleu-x, des inconnu·e·s perdue·s, des axes invisibles, de l’incompris. Il y régnera l’intensité du fugace, l’émotion de la simplicité, la joie d’être porté.

L'in-empreintable
Dans le blanc de la marge, il y a un ange qui détient la clef. Derrière la serrure, le monstre de la dévoration s’absorbe lui-même, s’engloutit dans l’effondrement de l’avoir sur l’avoir. C’est l’impasse de l’ego, parfait renversement de l’unité sereine de l’ange à la clef. Il y a les rouages de la vie affamée d’elle-même, dans laquelle l’individu est attaché à l’infinie perte de lui-même en lui-même.
À l’écart de cette impasse, se trouve une place pour l’être de la compréhension : cet être de la compréhension qui prend figure d’ange, parce qu’il est capable de relier le ciel et la terre, parce qu’il est capable de voler (et + ou) marcher. L’ange est l’être de la compréhension des chemins : il peut se déplacer entre les mondes, le divin et l’humain.
Comment vivre cette marginalité-là, celle qui libère ? Ce n’est pas une marge qui génère l’exclusion, mais celle qui permet de sceller un gouffre pour le mettre à l’écart. Il y aurait une réserve, un non-lieu où toute contrainte est suspendue, où la peur la plus profonde, celle qui nous fait redouter la perte, est contenue. L’être se trouverait là, dans l’espace du non-lié, en marge . Un chemin serait à prendre pour sortir du labyrinthe, pour sortir du même replié sur le même, pour échapper à l’enchaînement sans borne de l’absorption. Trouver cette marge libératrice est la clef : là où l’être est délié de sa condition de survie, détaché de son acharnement à avoir et peut-être également à son attachement à devenir.
« L’in-empreintable » est le mot que je donnerai à cet espace en marge où se trouve l’ange.